La protection de la mise en scène par le droit d’auteur

A défaut d’en admirer, parlons-en ; mettons-en scène les mots dans cet article, quoique juridique, qui permettra – peut-être ! – aux lecteurs de cet éditorial de mieux appréhender le régime de protection des mises en scène par le droit d’auteur.

La mise en scène renvoie, naturellement, à l’organisation matérielle d’une représentation, au choix des décors, des mouvements, des effets de lumière et du jeu des acteurs. L’on pense, instinctivement, au metteur en scène d’une pièce de théâtre, qui définit le contexte dans lequel se déroule l’œuvre dramaturgique.

En réalité, la notion de « mise en scène » franchit le périmètre de la scène, dès lors qu’on peut parler de la mise en scène d’objets inertes, de l’exposition d’une collection d’œuvre d’art (scénographie), de créations de la mode (défilé) ou encore d’un spectacle pyrotechnique.

Si nous sommes donc évidemment tous familiers de la notion de mise en scène, elle renvoie en réalité à un concept évanescent, difficilement définissable tant il est polymorphe.

Raison -peut-être- pour laquelle le législateur ne se réfère jamais à la notion de mise en scène et a laissé aux Tribunaux le soin d’en dessiner le régime juridique.

Antonin Artaud se demandait : « Comment se fait-il qu’en théâtre tout ce qui est spécifiquement théâtral, c’est à dire tout ce qui n’obéit pas à l’expression par la parole, par les mots, ou, si l’on veut tout ce qui n’est pas contenu dans le dialogue…soit laissé à l’arrière plan ? ».

En effet, la mise en scène est absente du Code de la propriété intellectuelle, et notamment de la liste – certes non exhaustive – des œuvres protégées par le droit d’auteur de l’article L. 112-2.

Bien que cela ne suffit à exclure, par principe, la protection de la mise en scène par le droit d’auteur, il en résulte un malheureux flou juridique, souvent comblé par la jurisprudence, comme nous le verrons.

La mise en scène, adaptation ou interprétation ?

La mise en scène est rarement seule, souvent accompagnée.

En effet, on s’emploie souvent à parler de la mise en scène « d’une œuvre » : la mise en scène d’un opéra, d’une pièce de théâtre, ou encore d’un spectacle de danse.

Elle accompagne donc, le plus souvent, d’autres formes d’art, contre lesquelles elle se blottie pour mieux les complexifier.

De fait, il s’agit le plus souvent, pour le metteur en scène, de définir un contexte, une atmosphère, de transmettre un message dans lesquels évolueront des œuvres dites « de spectacle vivant ». La mise en scène d’une œuvre renvoie donc à la manière de donner à voir, d’exprimer l’œuvre préexistante.

Dans ce cas, doctrine et jurisprudence hésitent à accorder au metteur en scène le statut d’auteur ou d’artiste-interprète, la distinction entre « adaptation » et « interprétation » de l’œuvre initiale apparaissant particulièrement ténue.

S’agit-il, pour le metteur en scène, de réaliser un aspect d’une œuvre préexistante ou de s’approprier une œuvre, en y insufflant un vent nouveau en imaginant un contexte inédit dans lequel évolue l’œuvre initiale ?

Henri Desbois, illustre universitaire déclarait que puisque les metteurs en scène « concourent à l’interprétation, non à la création de l’œuvre interprétée », « ce n’est pas sous l’égide des lois relatives à la propriété littéraire et artistique que les mises-en-scène, aussi originales qu’elles soient, doivent recevoir aide et protection. Elles font partie de l’interprétation des œuvres théâtrales, tout comme les prestations des acteurs et, par conséquent, ressortissent aux droits voisins ». Le metteur en scène serait donc un simple auxiliaire de la création, et non un auteur à part entière.

Cette conception restrictive et qui découle d’une mauvaise perception des potentialités artistiques de la mise en scène d’une œuvre, n’est fort heureusement, pas partagée par une grande partie de la doctrine.

En effet, la majorité des auteurs plaident pour la reconnaissance du statut d’auteur à part entière au metteur en scène, à l’instar du réalisateur d’une œuvre audiovisuelle, dès lors qu’une mise en scène remplit souvent les critères de protection d’une œuvre de l’esprit que sont la mise en forme d’une idée originale, empreinte de la personnalité du metteur en scène.

Dans ce sens, combien de fois les spectateurs d’un « classique » revitalisé par un metteur en scène imaginatif ont considéré qu’ils avaient admiré une œuvre « nouvelle », « inédite » ?

Il apparaît en effet, au regard du paysage scénique actuel en France et à l’international, qu’une grande partie des mises en scène devrait pouvoir bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur, tant les metteurs en scène redoublent d’imagination et d’inventivité dans leurs façons d’exprimer une œuvre vivante.

Nombreux sont les metteurs en scène contemporains qui s’attachent à octroyer un certain « style », une certaine atmosphère, à l’œuvre représentée en unifiant le jeu des acteurs et en les accordant au décor, aux costumes, aux jeux de lumière.

Dès lors, et parce que le metteur en scène se fait auteur en prenant des libertés par rapport à l’œuvre initiale qu’il transposera dans un contexte empreint de sa personnalité, on ne peut lui dénier la qualité d’œuvre de l’esprit.

La mise en scène originale d’une œuvre répond aux qualités d’une « œuvre composite », œuvre créée à partir d’une œuvre préexistante, pour la création et l’exploitation de laquelle son auteur devra recueillir l’autorisation de l’auteur de l’œuvre initiale, selon les termes de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle(CPI).

Ces errances préexistantes entre les deux régimes du droit d’auteur et du droit voisin des artistes-interprètes, certes quelques peu théoriques pour des profanes du droit d’auteur, ont des conséquences pratiques.

En effet, outre la frustration que le déni de la qualité d’auteur peut générer chez un metteur en scène, il bénéficie, aux termes du CPI, en tant qu’artiste-interprète, de prérogatives réduites sur son œuvre par rapport à l’auteur.

Son droit moral est affaibli, restreint aux droits de paternité et au respect de son interprétation, qui permettent à l’artiste-interprète d’exiger la mention de son nom et de s’opposer à toute dénaturation de son interprétation.

Les deux prérogatives de droit moral que sont le droit de divulgation et le droit de repentir et de retrait ne sont pas accordées aux artistes-interprètes, pour qu’ils ne puissent s’opposer à la circulation de l’œuvre.

Ainsi, les artistes-interprètes ou leurs ayants droit ne peuvent contester la divulgation d’une interprétation inédite à laquelle ils se sont livrés, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation, le, 27 novembre 2008.

Il bénéficie toutefois des mêmes prérogatives d’ordre patrimonial que celles de l’auteur, l’artiste-interprète pouvant autoriser ou refuser la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public.

À ce jour, la jurisprudence reste nuancée sur la qualification de la mise en scène et, par conséquent, sur le régime de protection applicable.

L’originalité d’une œuvre étant d’appréciation de plus en plus stricte, les tribunaux s’attachent à une rigoureuse analyse des prétentions du metteur en scène qui revendique la protection de sa mise en scène par le droit d’auteur.

Il est donc nécessaire de procéder à une méticuleuse démonstration des éléments de la mise en scène susceptibles de porter l’empreinte de la personnalité du metteur en scène, illustrant des choix arbitraires : un décor original, une direction d’acteurs créative qui donne un rythme particulier à l’œuvre, une interprétation inédite du texte, une implication particulière de la musique, ponctuée de jeux d’ombres et de lumière… sont autant de caractéristiques susceptibles d’emporter la conviction du juge du fond, comme l’a estimé la Cour d’appel de Douai, le 4 juillet 2019.

A cet égard, il est important de souligner que les juges, et en particulier deux de la Cour d’appel de Paris, le 9 septembre 2019 2011.

Ils n’apprécient pas l’originalité de chaque élément de la mise en scène pris individuellement, mais de la combinaison de ces caractéristiques, de sorte que « le moyen tiré de l’absence d’originalité de chacune de ces caractéristiques est inopérant pour ruiner l’originalité de la combinaison, laquelle rend compte de l’approche et du propos (du metteur en scène) et de son empreinte personnelle ».

La Cour de cassation a déjà accueilli à plusieurs reprises, et notamment dès le 8 juillet 1971, la protection par le droit d’auteur de mises en scène en raison de leur originalité et de l’empreinte de la personnalité du metteur en scène, s’attachant à la créativité des instructions qu’il donne « notamment sur la composition des divers tableaux, la nature des décors, le choix et l’emplacement des accessoires et également sur l’entrée, la sortie et le comportement des interprètes, ainsi que sur le ton et le rythme des paroles qu’ils ont à prononcer ».

Les tribunaux ont également reconnu la qualité d’auteur au metteur en scène d’une pièce de théâtre), d’un spectacle de cabaret formé de scènes de danses et de chants, du « metteur en ondes sonores et lumineuses » d’un spectacle « Son et lumière » ou d’un spectacle pyrotechnique concourant à mettre en valeur le monument .

Il apparaît au regard de ces espèces que les juges s’attachent à examiner si le metteur en scène est « prisonnier des indications des auteurs du spectacle » ou s’il peut être considéré comme un créateur d’une partie essentielle de ladite œuvre dans laquelle la représentation de celle-ci ne se concevrait pas.

En d’autres termes, « lorsqu’il apporte des modifications significatives à l’œuvre qu’il met en scène, changeant, ajoutant ou supprimant du texte ou de la musique, transformant la construction ou les personnages », le metteur en scène se fera auteur, tandis que lorsqu’il se contentera d’interpréter les directives de l’œuvre initiale, il sera assimilé à un artiste-interprète, tel qu’en a conclu la Cour de cassation, le 12 juillet 2007.

L’on pourrait considérer que lorsque la mise en scène transpose l’œuvre et la transporte dans un univers personnel, qui lui donne une dimension inédite, elle donnerait prise au droit d’auteur.

Aux auteurs qui déplorent le manque de « rigueur » dans la qualification des mises en scène et l’éventuel cumul de régimes, on leur rétorquera que le droit d’auteur est heureusement — dans une certaine mesure — casuistique, dès lors qu’il faut s’attacher à démontrer l’originalité de chaque création de l’homme, quelqu’un soit le genre, le mérite ou la destination.

Quoiqu’il en soit, le metteur en scène, s’il peut bien sûr s’écarter de l’idée originelle de l’auteur et exprimer sa propre individualité dans l’œuvre, se doit d’en respecter l’esprit. Le metteur en scène est soumis à la primauté du droit moral de l’auteur de l’œuvre originelle.

Dans une affaire concernant Samuel Beckett, pour sa pièce En attendant Godot, le défendeur invoquait, pour justifier son attitude, le droit moral que le metteur en scène possèderait sur sa mise en scène.

Le tribunal répond, le 15 octobre 1992, que « l’éventuel droit moral du metteur en scène sur sa mise en scène trouve sa limite dans les droits de l’auteur de l’oeuvre préexistante ; le libre choix par le metteur en scène des interprètes masculins ou féminins ne saurait valablement être invoqué ici pour faire échec au droit moral des ayants droit de Samuel Becket sur son oeuvre ».

Il a notamment été considéré que la mise en scène dénaturante du Dialogue des Carmélites portait atteinte aux droits de l’auteur de l’œuvre préexistante.

En outre, modifier le contexte d’une œuvre peut porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre, dès lors qu’elle en change le sens.

La mise en scène, une œuvre autonome ?

La mise en scène est également, dans une certaine mesure, une forme d’art autonome, qui donne vie à certaines disciplines en principe rejetées par le droit d’auteur.

On pourrait, en effet, considérer que la performance, forme d’art orientée vers une véritable « mise en action artistique » du corps de l’artiste, constitue une forme autonome de mise en scène.

Il est également envisageable de concevoir la notion de « mise en scène » en tant que critère d’appréhension d’une œuvre de l’esprit.

De fait, la « mise en scène » est devenu un critère privilégié par les juges pour apprécier l’originalité d’une œuvre d’art : si metteur en scène est une vocation à part entière, les juges s’attachent également à examiner la qualité de metteur en scène d’un artiste.

Les Tribunaux se réfèrent notamment à la singularité de la mise en scène du sujet photographié, notamment lorsqu’il s’agit de prises de vue d’objets d’art inertes.

Les juges du fond retiennent que « toute personne revendiquant des droits sur une œuvre doit la décrire et spécifier ce qui la caractérise et en fait le support de la personnalité de son auteur, tâche qui ne peut revenir au Tribunal qui n’est par définition pas l’auteur des œuvres et ne peut substituer ses impressions tout à fait subjectives aux manifestations de la personnalité de l’auteur ». C’est ce qu’a souligné le tribunal de grande instance de Paris, le 2 février 2010.

La mise en scène confère également à des créations en principe non protégeables une originalité qui en commande la protection.

Si les expositions d’œuvres d’art ne sont, en principe, pas des œuvres en soi puisqu’elles découlent de simples choix, une scénographie mettant en scène de manière originale les œuvres présentées peut donner prise au droit d’auteur.

De la même façon, si un geste sportif n’est, en principe, pas protégeable car « accidentel », la mise en scène de celui-ci le promeut au statut d’« œuvres chorégraphiques » expressément visées par l’article L. 112-2 du CPI

La mise en scène est donc, dans une certaine mesure, une œuvre qui acquiert son indépendance, en tant qu’objet de protection par le droit d’auteur, mais également vis-à-vis des œuvres qu’elle interprète… ou adapte.

L’on ne peut que s’en féliciter, tant les metteurs en scène contemporains se défient de créer sur scène, des univers parallèles toujours plus flamboyants qui renouvellent la perception de l’œuvre représentée.

Une mise en scène éligible à la protection par le droit d’auteur repose donc sur une démonstration probante afin de donner la réplique aux juges, particulièrement sensibles à l’ensemble des éléments permettant de caractériser son originalité.

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