Éditorial de juillet : Le droit des suites post-mortem

La publication de suites de livres à succès est une long usage du milieu du livre. C’est a fortiori le cas pour les oeuvres de bande dessinée ayant su fidéliser de nombreux fidèles lecteurs désireux de retrouver personnages et univers familiers, même après la disparition du créateur d’une saga à succès.

Ce printemps a vu naître une nouvelle bataille judiciaire opposant la fille d’André Franquin, à l’éditeur Dupuis qui a confié Le Retour de Lagaffe au dessinateur Delaf.

C’est la justice belge qui est saisie de cette affaire depuis la fin mars, à la suite de l’annonce, durant le Festival d’Angoulême, de cette résurrection qui a commencé par la pré-publication d’un planche dans le magazine Spirou et doit prendre la forme d’un album en librairie, tiré à 1 200 000 exemplaires en octobre prochain..

Selon, les avocats de son ayant-droit, Franquin aurait, de son vivant, « exprimé de manière continue et répétée, sa volonté que Gaston ne lui survive pas sous le crayon d’un autre dessinateur ».

Ce type de contentieux est récurrent de donne lieu à des solutions aussi différente qu’il y a de situations, d’accords contractuels et de volontés plus ou moins clairement formulées.

Précisons que le cinéma, à la différence de l’édition, n’hésite que rarement à produire une suite, sitôt une sortie « plébiscitée » par le public, à défaut d’être « saluée » par la critique.

L’habitude est désormais tellement ancrée que les contrats, dans le milieu du cinéma, comportent tous une clause par laquelle le scénariste cède d’emblée tous les droits, non seulement de « remake », mais encore de « prequel » et de « sequel », bref permettant de réutiliser les pots neufs pour y faire la plus rentable des soupes, délayée jusqu’à lassitude des spectateurs. Nul ne s’offusque du changement de dialoguiste et de réalisateur au gré des opus qui se succèdent.

Dans l’édition, de part et d’autre de l’Atlantique, l’affaire, et donc le commerce, se compliquent. Surtout quand les commandes de suites s’adressent à d’autres auteurs que le créateur d’origine. Et que les ventes conséquentes sont seules visées, même si l’ « hommage » au chef d’œuvre de départ est toujours invoqué en guise de justification.

Les éditeurs prudents prennent particulièrement soin, dans les contrats avec les auteurs de bandes dessinées en particulier, de mentionner la cession des droits sur les personnages ; notamment si ceux-ci sont appelés à multiplier les aventures hors des librairies, sous forme de produits dérivés (vêtements, bibelots, matériel de papeterie), voire d’adaptation audiovisuelle).

Rappelons aussi que le droit moral, et notamment celui du respect de l’œuvre, est perpétuel et ne tombe jamais dans le « domaine public », tant que des héritiers, de sang ou désignés, existent. Il s’agit dès lors de… suivre les consignes laissées par l’auteur et de les faire respecter. Ou d’interpréter ses intentions telles qu’elles peuvent se lire dans son journal intime, sa correspondance, etc.

En 2001, l’auteur de cette chronique judiciaro-littéraire a poursuivi suite des Misérables à la demande de Pierre Hugo, arrière-arrière-petit-fils de Victor. Ce qui a donné lieu à une série de décisions de justice en tout sens : les Miz appartenant au domaine public, le débat portait sur le droit moral, cette faculté d’empêcher une atteinte au respect de l’œuvre. L’ayant-droit arguait que le grand écrivain avait prévenu qu’il n’admettrait « ni greffon ni soudure » à ses romans. La famille a, au final, été déboutée, alors que l’enjeu était terminé car la suite en question avait fait naufrage économiquement, entravée par la procédure et l’accueil peu favorable du public.

En 2009, une autre affaire judiciaire très médiatique a mis aux prises J.D. Salinger avec Fredric Colting, publiant sous le pseudonyme de… « J.D. California ». Celui-ci avait publié 60 Years Later Coming Through The Rye, présenté comme la suite de L’Attrape-cœur (The Catcher in the Rye), chez Nicotext, maison d’édition suédoise, implantée en Angleterre et que dirigeait le même Colting/California.

Salinger a attaqué aux Etats-Unis – où le droit moral est inexistant –  et obtenu gain de cause auprès de la juge Deborah Batts, qui a interdit cette suite des aventures de Caulfield, prévues pour envahir les librairies américaines. La contrefaçon a été retenue, et les tentatives de qualifier le coup sous l’intitulé de « parodie » et d’ « analyse » écartées.

         Enfin, en 2015, un Millenium 4 est sortir, par centaines de milliers d’exemplaires, présentée comme un nouvel épisode, signée par  David Lagercrantz, de la célèbre saga créée par Stieg Larsson, au grand dam de sa dernière compagne Eva Gabrielsson.

C’est que la suite de Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes, La Fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette et La Reine dans le palais des courants d’air a été, depuis la disparition de l’écrivain suédois, au cœur d’un douloureux contentieux entre Eva Gabrielsson et la famille de l’auteur.

La mort brutale de Stieg Larsson, foudroyé par une crise cardiaque en 2004 à l’âge de cinquante ans, a notamment laissé un mystérieux manuscrit inachevé de 350 pages et un héritage aussi prodigieux qu’empoisonné.

Le manuscrit, dont l’existence est avérée puisqu’il est effectivement l’un des innombrables dossiers que renferme l’ordinateur de l’écrivain défunt, a attisé d’amples convoitises depuis que les droits cinématographiques des trois tomes publiés avec un succès inespéré, ont été vendus par Joakim, le jeune frère de Stieg. Or l’ordinateur est longtemps resté dans l’appartement que partageait l’écrivain avec sa compagne à Stockholm, laquelle en était, de fait, la détentrice, et n’était pas disposée le moins du monde à s’en défaire ni à en divulguer le contenu…

Joakim et Erland, le père de Stieg Larsson, ont été jusqu’à entamer une procédure d’expulsion d’Eva Gabrielsson afin d’en récupérer la jouissance. 

Précisons qu’Eva Gabrielsson et Stieg Larsson ne se sont jamais mariés. Tous deux ont vécu ensemble plus de trente années, mais n’ont jamais scellé leur union sous quelque forme contractuelle que ce soit… en tout cas sous celle d’un mariage, le statut d’épouse ou d’époux légitime étant le seul, en regard de la loi suédoise, permettant de faire valoir des droits sur tout ou partie de l’héritage du conjoint. En l’espèce, Eva Gabrielsson ne peut prétendre à rien, pas l’ombre d’une royaltie ; ce qui lui semble un peu sévère, et les seuls héritiers légitimes des sommes incroyables produites par l’œuvre de Stieg Larsson sont le père et le frère de celui-ci.

Si les parties sont parvenues à un accord au sujet de ce quatrième tome plus ou moins fantôme, elles ne semblent pas, pour autant, prêtes à sabler le champagne de la réconciliation. Dans une interview accordée à un journal français en mai 2009, Eva Gabrielsson déclarait n’avoir plus eu aucune relation avec Erland Larsson, père de l’écrivain, depuis le printemps 2005, peu avant la parution en Suède du premier tome, ni n’avoir jamais parlé au frère de son ancien compagnon, « excepté, dit-elle, des dîners et des verres très occasionnels quand Stieg était en vie. » Par ailleurs, son avocat a tenté en vain, de parvenir à un accord avec la famille de l’écrivain afin qu’elle récupère les droits à la fois de « Millénium » et des textes, articles, conférences et autres ouvrages de son ancien compagnon.

Eva Gabrielsson a déclaré au Monde, en août 2015 : Je n’avais pas été mise au courant d’un éventuel projet de suite. Je l’ai appris, ainsi que le choix de David Lagercrantz, par un journal, il y a environ un an. Je constate que les créateurs de vêtements sont bien plus protégés que les écrivains. En Suède, la loi sur le droit moral stipule que les intentions, le style et l’originalité des premiers doivent être préservés. Mais ceci ne s’applique pas aux seconds, morts ou vivants. J’imagine que Norstedts, l’éditeur suédois, avait désespérément besoin d’argent, malgré l’énorme profit engendré par Millénium…

Emmanuel Pierrat

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