Éditorial de septembre : Métavers et droit d’auteur


Après la vague des NFT, voici celle du métavers, présenté comme un nouveau monde, à défaut d’être pour l’heure un nouvel Eldorado !
il est donc plus que nécessaire, pour les professionnels du livre, de maîtriser les subtilités juridiques de cet univers dématérialisé afin d’en tirer profit ou, a minima, d’y préserver leurs droits.


Du Samouraï virtuel à la naissance de Meta

La naissance du terme métavers remonte à 1992 et au livre Le Samouraï virtuel de Neal Stephenson. Il vient du grec meta, qui signifie « au-delà » et verse, qui renvoie à un « univers ».
En 1999, le septième art s’est emparé du sujet du métavers à travers le film Matrix, où le légendaire Keanu Reeves navigue entre la Matrice et le monde réel sous le nom de Neo. Ce chef d’œuvre cinématographique des sœurs Wachowski, qui a marqué toute une génération, dépeint une humanité asservie par les machines, faisant vivre les hommes dans une réalité virtuelle.
Plus récemment, en 2018, le film de science-fiction Ready Player One de Steven Spielberg renouvelle le thème du métavers. En 2045, dans un monde marqué par des désastres écologiques et rongé par la guerre, la famine et la pauvreté, le film raconte l’histoire de Wade Watts, qui poursuit une quête pour obtenir le contrôle de l’OASIS, univers totalement virtuel que l’humanité utilise comme exutoire.
Le métavers s’analyse donc en un univers au-delà du réel, où réalité physique et réalité virtuelle ne forment plus qu’un. A l’intérieur, une communauté d’utilisateurs interagissent entre eux en temps réel sous la forme d’« avatars ».
Bien loin de n’être qu’un concept abstrait et futuriste, le métavers se concrétise aujourd’hui sur internet. Mark Zuckerberg, qui a renommé l’entité exploitant Facebook en « Meta », a d’ailleurs expliqué que, selon lui, dans le métavers tout sera possible : se réunir avec ses amis et sa famille, travailler, apprendre, jouer, acheter, créer.
Et, durant la récente campagne présidentielle, Emmanuel Macron a fait allusion au projet de création d’un « métavers européen ».
Si le métavers soit un monde dématérialisé, les questions juridiques relatives à sa régulation sont bien réelles. Le métavers s’incarne actuellement en un pouvoir horizontal, sans l’intervention de l’État. Il convient donc d’examiner attentivement les interactions qui ont lieu dans ce nouvel univers alternatif, avant que celui-ci ne se transforme en une zone de non droit numérique.



La protection des œuvres dans le métavers

Rappelons que les simples idées sont exclues de la protection par le droit d’auteur, l’« œuvre de l’esprit » devant exister sous une forme perceptible par les sens, c’est-à-dire apte à être vue, entendue ou touchée. Ainsi, pour qu’une œuvre de l’esprit soit protégée, il est nécessaire que celle-ci soit formalisée.
En outre, le Code de la propriété intellectuelle (CPI) est muet sur le type de support sur lequel l’œuvre doit être fixée. Cette omission a été réalisée à dessein par le législateur, afin de ne pas limiter le bénéfice de la protection par le droit d’auteur à la condition de la fixation de l’œuvre sur une liste exhaustive de supports, pour ainsi inclure les supports futurs n’existant pas encore.
C’est ainsi que les règles de la propriété littéraire et artistique s’appliquent, en théorie, au domaine du numérique.
A ce titre, il faut reconnaître une protection par le droit d’auteur aux œuvres de l’esprit présentes dans le métavers, sous réserve que ces œuvres répondent à la condition d’originalité.


La nécessaire adaptation des contrats de cession de droits d’auteur

En matière de droit d’auteur, le principe dit « d’interprétation restrictive des cessions » s’impose. En clair, le cessionnaire ne peut se prévaloir que des droits qui lui ont été expressément cédés. En parallèle, le CPI, qui interdit « la cession totale des œuvres futures », exige que le contrat de cession mentionne le champ d’exploitation des droits cédés quant à son étendue et son objet, quant au lieu et quant à la durée.
A défaut de l’existence d’un contrat en bonne et due forme, l’auteur reste seul titulaire de ses droits. Tout ce qui n’est pas expressément cédé dans le contrat est conservé par lui, et violer cette règle c’est encourir une action en contrefaçon. La jurisprudence est particulièrement stricte sur ce point. Le cédant ne pourra d’ailleurs en rien exciper de la propriété matérielle d’un fichier numérique pour combattre cette règle essentielle de la propriété littéraire et artistique.
Ainsi, s’agissant de la cession d’une œuvre audiovisuelle, l’énumération des modes d’exploitation doit être presque exhaustive, de façon à ne pas bloquer un développement ultérieur de l’œuvre sous une forme non encore rentable aujourd’hui. A titre d’exemple, une entreprise qui souhaiterait exploiter une œuvre audiovisuelle sous forme de NFT devra également mentionner cette possibilité dans le contrat, en ce qu’il s’agit d’un mode d’exploitation à part entière, à côté de la simple exploitation dans le métavers.
En outre, si nombre de clauses contractuelles ont été imaginées par les professionnels du secteur à la suite du développement accéléré des nouvelles technologies, de telles anticipations s’avèrent insuffisantes pour intégrer l’exploitation des œuvres dans le métavers. En effet, les clauses utilisées par les praticiens se réfèrent au monde réel et non au monde virtuel, quand bien même l’exploitation de l’œuvre sur Internet est incluse dans le contrat.
Le métavers pourrait s’analyser en un mode d’exploitation inédit, auquel les usages contractuels devront se conformer en le visant expressément dans les clauses de cession. D’autant plus que, si un doute subsiste sur la portée d’une cession de droits d’auteur, la convention sera interprétée en faveur de l’auteur. Sans adaptation des contrats, le risque encouru est la contestation systématique par les auteurs de l’utilisation de leurs œuvres dans le monde virtuel.
De ce fait , si les œuvres présentes dans le métavers sont bel et bien protégées par le droit d’auteur, la mise en œuvre de la protection dans ce nouvel environnement numérique sera précisée par la jurisprudence. Des interrogations subsistent dans la mesure où le métavers en est encore à ses débuts, et il est complexe d’envisager le nombre infini de possibilités que ce monde virtuel a à offrir.
Le métavers amène donc à repenser les règles existantes, sans que nous ayons nécessairement besoin d’en rédiger de nouvelles. Ce monde virtuel conduit à une sorte de gymnastique intellectuelle : il s’agit de choisir parmi les outils existants pour trouver une protection efficace sur un bien virtuel. Dans cet esprit, les enjeux des contrats portant sur les droits d’auteur sont en pleine mutation et leur contenu devra être modifié afin de répondre aux besoins induits par le métavers. En définitive, des outils existent : il s’agit de trouver les bons, et de préciser leur application à ce nouvel environnement numérique.


La qualification des actes de contrefaçon dans le métavers

Puisque les œuvres audiovisuelles présentent dans le métavers sont protégées par le droit d’auteur, toute violation de ce droit est susceptible d’être qualifiée de contrefaçon.
Des actes illicites de reproduction et de représentation d’œuvres audiovisuelles peuvent tout à fait être réalisés dans le métavers.
En 1997, les juges reconnaissaient déjà que « la numérisation d’une œuvre (…) constitue une reproduction de l’œuvre qui requiert à ce titre, lorsqu’il s’agit d’une œuvre originale, l’autorisation préalable de l’auteur », tandis que le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur de 1996, arrangement particulier de la convention de Berne, réitère que les droits de reproduction s’applique pleinement dans l’environnement numérique. Ainsi, la copie d’œuvres audiovisuelles sur les réseaux numériques constitue une reproduction de l’œuvre.
Le droit de représentation est également mis en œuvre dans le métavers, étant donné que l’œuvre audiovisuelle y est communiquée au public, ce monde virtuel impliquant une interaction constante d’individus multiples sous forme d’avatars.
Ainsi, si les actes de contrefaçon commis dans le monde réel sont transposables dans le monde virtuel, les juges devront adapter et interpréter ces concepts dans le contexte nouveau du métavers. La plus grande difficulté tient toutefois à l’identification du contrefacteur.


La difficile identification des contrefacteurs dans le métavers

Dans l’univers du métavers, l’anonymat est facilement préservé par de nombreux utilisateurs, de telle sorte qu’il est ardu de savoir qui se cache réellement derrière un avatar.
L’identification des utilisateurs est d’autant plus compliquée avec l’avènement des réseaux privés virtuels, plus communément appelés VPN, qui consistent en un système permettant d’assurer la confidentialité des échanges entre ordinateurs et l’anonymat en ligne, par la création d’un réseau privé à partir d’une connexion Internet publique. Ce système masque l’adresse IP de ses utilisateurs, de telle sorte que leurs actions en ligne sont pratiquement intraçables.
Toutefois, pour lever la barrière de l’anonymat, des techniques informatiques pointues existent. La question est donc la suivante : peut-on accéder aux données personnelles des personnes présentent dans le métavers pour enquêter ? A ce titre, il s’agit de savoir si règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne pourrait s’appliquer au métavers…
Rappelons par ailleurs que le RGPD s’applique en fonction du lieu où se trouve le sujet lorsque ses données sont traitées, et non en fonction de son pays d’origine ou de sa citoyenneté. L’espace sans frontière qu’est le métavers suscite donc de nombreuses questions sur la localisation du contrefacteur, ainsi que sur la manière dont on peut accéder à ses données personnelles.


Droit applicable et juridictions compétentes

La question essentielle restera celle du droit applicable – même si les règles nationales ont tendance à être de plus en plus proches par le biais des adhésions aux grands traités internationaux sur la propriété littéraire et artistique – et des juridictions compétentes.
La Cour de cassation s’est ainsi penchée, le 18 octobre 2017, sur ces contrefaçons qui naissent dans un État, sont vendues dans un autre territoire, notamment par internet, le tout au détriment d’une entreprise ressortissant d’un troisième pays. Et d’estimer que les juges saisis, en l’occurrence français et donc appartenant à un pays où un site internet proposait, indirectement, les contrefaçons, sont bel et bien compétents. Ils donnent ainsi tort à la cour d’appel qui, en charge précédemment de ce contentieux, avait jugé que l’affaire ne pouvait être tranchée que dans d’autres pays, pour lesquels le site litigieux avait été conçu.
La Cour de cassation avait déjà statue en ce sens, le 22 janvier 2014, désavouant, là encore, la jurisprudence dite de la « focalisation, du ciblage ou de la destination » et rappelle cette de l’accessibilité.
En matière de contrefaçon, il suffit de pouvoir acheter un exemplaire dans une librairie parisienne ou sur un site français pour que les juridictions de la capitale soient compétentes pour trancher le litige. La simple possibilité de commander, de Paris, un ouvrage, via, par exemple, un libraire spécialisé ou une cyberlibrairie étrangère permet d’attaquer devant les tribunaux locaux.
La même Cour de cassation a en effet déjà souligné, que « la contrefaçon se constitue non seulement par le fait matériel de la reproduction d’une œuvre de l’esprit et l’absence de bonne foi, mais aussi par l’atteinte portée aux droits d’auteur, tels qu’ils ont été définis et réglementés par la loi. (…) Est réputée commise sur le territoire de la République toute infraction dont un des faits constitutifs a eu lieu en France ». Cette décision a été rendue au profit d’un préfacier dont le texte avait été reproduit sans autorisation aucune dans un catalogue d’exposition japonais mais conçu pour partie en France.
De même, le 25 octobre 2010, la Cour de justice des Communautés européennes a été saisie par le Tribunal de grande instance de Paris d’une question préjudicielle concernant la compétence du tribunal d’un État membre pour juger d’une atteinte aux droits commise sur internet. En l’occurrence, un citoyen français avait intenté une action contre la société de droit anglais d’édition, se plaignant de la mise en ligne de textes et d’images, sur le site anglais de la société en cause. Celle-ci avait soulevé l’incompétence des juridictions parisiennes en l’absence d’un lien de rattachement suffisant entre la mise en ligne litigieuse et le dommage allégué sur le territoire français. La Cour supranationale a d’abord rappelé les solutions dégagées par sa propre jurisprudence, pour estimer que la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts (qui correspond en général à l’endroit où la personne a sa résidence habituelle, et/où elle exerce une activité professionnelle). Cette personne peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été. Celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie.
De plus, l’article 113-6 du Code pénal dispose que « la loi pénale française est applicable à tout crime ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction ».
La contrefaçon, c’est-à-dire n’importe quelle atteinte portée aux droits d’un auteur ou de son éditeur, est bel et bien un délit pénal. Car selon l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle, « la contrefaçon en France d’ouvrages publiés en France ou à l’étranger est punie de deux ans d’emprisonnement ». La seule condition pour agir en France est que les faits n’aient pas déjà été sanctionnés par une juridiction étrangère…
En théorie, tout va donc pour le mieux, et l’éditeur peut faire confiance à la lenteur de ses propres juges nationaux. Mais la réparation du préjudice par le juge français est une autre paire de manches.
Reste toutefois posée la question de la réparation du préjudice total, par le seul juge français. La Cour de cassation ne s’est pas prononcée si clairement dans son arrêt en date du 18 octobre 2017. Il faudra donc attendre que la cour d’appel de renvoi, qui doit restatuer puisqu’il y a eu cassation de l’arrêt d’appel précédent, se prononce sur ce point.
Car la Cour de justice d’Union européenne, dans un arrêt du 3 octobre 2013, a en effet rappelé que les juges ne peuvent statuer que sur le préjudice subi sur leur territoire.
De fait, il arrive souvent qu’un éditeur français veuille agir contre des comportements commis à son détriment hors du territoire national. Le procès devant les tribunaux français est donc possible, mais la réparation du préjudice risque de ne pas être à la mesure des dégâts.
En application de la Convention de Bruxelles, le juge français ne peut donc réparer entièrement le préjudice subi par un ayant droit étranger sur plusieurs territoires, sauf si le contrefacteur est établi en France.
Enfin, la question s’est déjà fréquemment posée — notamment lorsque les faits ont été commis dans plusieurs pays — de savoir si une juridiction autre que celle du défendeur peut condamner à une indemnisation globale. Dans une affaire de diffamation, la Cour de justice des communautés européennes a estimé, en 1995, que la réparation du préjudice est limitée aux dommages subis dans le pays du juge. Seule la juridiction dont dépend principalement le défendeur (en clair celle de son lieu de résidence, du lieu de l’édition ou de la commercialisation principale) peut indemniser l’ensemble des torts subis dans plusieurs territoires. Le problème est bien évidemment accru en cas de diffusion litigieuse sur internet.
Au final, il est donc possible de saisir le juge le plus proche de chez soi, mais mieux vaut parfois, pour l’heure, actionner dans le pays, même sous forme d’avatars numériques, où les dégâts sont les plus nombreux.


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